Le 10 décembre 1815, Napoléon et son « Palais en exil » s’installèrent à Longwood House, agrandi et aménagé par Cockburn grâce aux charpentiers du Northumberland aidés des soldats de la garnison. La vieille résidence d’été du lieutenant-gouverneur Skelton, ainsi rénovée, apparut comme un assemblage de bâtiments disparates reliés entre eux au petit bonheur la chance et équipés de tapis et de meubles achetés sur l’île. Le jardin restait inhospitalier, planté de quelques arbres tordus par le vent et, par temps de pluie, les routes étaient transformées en bourbier. Marchand et Ali, les valets, et Cipriani, l’intendant, parvinrent à améliorer quelque peu le confort intérieur et le gouvernement britannique expédia du mobilier supplémentaire depuis la Grande-Bretagne.
Des résidences impériales, Longwood House détient le record de la durée en ce qui concerne la présence de son hôte ; les Tuileries exceptées, Napoléon n'a jamais habité ses palais qu'en passant, sautant du château de Compiègne au bivouac d'Austerlitz, du château de Fontainebleau à celui de Schönbrunn. Sur l’humide plateau de Longwood, que balaie l'alizé, où tout est pauvre et désolé, il a vécu près de six ans, marquant le décor de son fer et faisant entrer dans la légende un rocher sans histoire, le plus isolé, le moins connu, le plus inaccessible et le plus propre à l'usage de prison.
Pour accéder à Longwood, les visiteurs devaient être munis d’un laissez-passer du gouverneur et d’une notification d’audience du Grand Maréchal, le général Bertrand. Le comte Montholon ou le général Gourgaud, en uniforme, les recevait dans la véranda et les introduisait dans la salle du billard, qui faisait office d’antichambre. Celle-ci, la plus vaste pièce de la maison, était la plus adaptée pour l’exercice, et Napoléon y dictait parfois tout en marchant de long en large, les mains derrière le dos. Pour observer les sentinelles et les allées et venues des Britanniques, Napoléon avait ménagé deux trous dans les persiennes à l’aide de son couteau. Une fois annoncés par Bertrand, les invités pénétraient lentement dans le salon, où ils étaient reçus par Napoléon, qui se tenait devant la cheminée, le chapeau sous le bras, les saluant d’une légère inclinaison du buste.
Après le dîner, les Français se rassemblaient pour le café,
et écoutaient en somnolant Napoléon faire la lecture d’Andromaque, de Mahomet
ou autre.
« - Madame, vous dormez !
- Non, Sire ! proteste Madame de Montholon
- Quelle heure est-il ? Bah, ça n’a pas d’importance. Allons nous coucher. »
« En dehors du jardinage, des promenades à cheval, de la lecture et de la dictée, il avait peu de distractions. Il lui prit fantaisie, une fois, d’acheter des agneaux pour en faire des animaux de compagnie. Cet innocent caprice dura peu. Gourgaud avait l’habitude de chasser la tourterelle des bois. Il arrivait qu’il ramenât un faisan, une perdrix ou même une laie. Sir Hudson Lowe, un jour, apporta des lapins à Longwood afin que Napoléon s’amuse à les tirer. Malchanceux comme toujours, il avait choisi le moment où l’empereur venait de planter de quelques jeunes arbres. Sans doute les rats mangèrent-ils les lapins et sauvèrent-ils ainsi les arbres. Toujours est-il que les lapins disparurent.
Au début, il faisait des promenades à cheval, mais la proximité immédiate d’un officier anglais lui était intolérable, et l’en découragea. De quatre ans, Il ne remonta plus jamais sur un cheval. Pendant ce long repos, il en plaisantait, disant de son cheval qu’il était un véritable chanoine, car il vivait bien et ne travaillait jamais.
Il jouait sans grand sérieux à certains jeux, : le reversi,
qu’il connaissait depuis l’enfance, et les échecs. Aux échecs, il était
particulièrement maladroit, et sa suite devait déployer des trésors de
courtoisie pour éviter de le battre – une petite supercherie qu’il percevait
parfois.
Souvent, Napoléon restait étendu, vêtu de sa robe de chambre
blanche, d’un ample pantalon blanc et de bas, un madras rouge à carreaux sur la
tête, le col de chemise ouvert, sans cravate. Il semblait mélancolique et
inquiet. Il avait devant lui une petite table ronde où étaient posés des
livres, et aux pieds de laquelle s’amoncelaient en désordre sur le tapis ceux
qu’il avait déjà feuilletés[1].
»
Aujourd’hui, toutes les pièces des appartements de Napoléon constituent un musée. Les conservateurs et moi-même pendant dix ans avons occupé les appartements du docteur O’Meara et des généraux Montholon et Gourgaud. Ces pièces abritent désormais les collections des Domaines et sont ouvertes au public.
[1]
Citations extraites de « Voice in Exile » par le docteur O’Meara – traduites
par Michel Dancoisne-Martineau.