En 1815, lorsque Napoléon arriva à Sainte-Hélène, John Robinson, un pauvre métayer, louait des terres à la Compagnie des Indes, au fond de la Fisher’s Valley qui, s’étendant du versant sud-est de Diana’s Peak à Prosperous Plain, se trouvait à l’intérieur du périmètre autorisé à Napoléon.
La maison de Miss Robinson, 2023
Les militaires du second bataillon du 53e régiment
d’infanterie avaient établi leurs quartiers à Hutt’s Gate, près des terres louées
par le fermier. John Robinson était
confronté à des tracasseries quotidiennes. Les soldats coupaient des arbres,
gâchaient des meules de foin et cassaient les clôtures sans vergogne. Ne
disposant que de ces terres, John Robinson était au désespoir de ne pouvoir y
maintenir ses quelques têtes de bétail et y récolter son foin. Il fut
finalement contraint de vendre pour une bouchée de pain son bail à… William
Balcombe.
Le 4 janvier 1816, la fraîcheur d’une des deux filles de
John Robinson attira l’attention de Napoléon et du comte de Las Cases lors
d’une de leurs chevauchées dans la Fisher’s
Valley. Elle s’appelait Mary-Ann Robinson et était
âgée de seize ans. Après lui avoir donné quelques pièces d’or, l’Empereur la
baptisa séance tenant « La Nymphe
de Las Cases » et désigna la vallée où elle vivait
avec ses parents et sa sœur, « La vallée du silence ». Pour les autres Français et bientôt pour
l’île entière, Mary-Ann devint « La Nymphe
de la vallée ». À partir de ce moment, chaque fois que sa promenade l’y conduisait,
Napoléon prit l’habitude de s’arrêter devant le perron du pauvre cottage où
deux jeunes filles l’attendaient avec des bouquets de cannas et de fleurs de
gingembre. Après Betsy, Mary-Ann Robinson était devenue une célébrité locale.
Les voyageurs de passage, assoiffés d’anecdotes et souvent frustrés de n’avoir
pu apercevoir l’Empereur déchu, se rabattaient sur toutes les personnes ayant
pu le côtoyer… ou même l’ayant aperçu de loin.
La maison de Miss Robinson, 2023
La maison de Miss Robinson, 2023
Pendant un an et demi, Mary-Ann reçut de nombreux
hommages de la part de messieurs comme Gourgaud et Piontkowski, mais sans
qu’aucun ne lui propose le mariage tant désiré. Heureusement, le 5 juillet
1817, arriva sur l’île le premier bataillon du 66e régiment
d’infanterie. James Ives Edwards, le capitaine du Dorah qui avait convoyé le
bataillon depuis l’Inde la remarqua.
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Le capitaine avait été généreusement rémunéré pour
l’acheminement des troupes. Le ministère de la Guerre lui avait accordé le
forfait considérable de £15.000 (± £1.000.000 de 2015) à la double condition
qu’il le décharge de tout le poids de l’organisation du voyage et qu’il en
assume les risques. Cette solution, certes coûteuse, évitait à Londres la
lourdeur et la lenteur d’une intervention administrative dans l’éventualité
d’une avarie. À cette somme s’ajoutaient bien entendu les indemnités
journalières pour la nourriture des passagers. Fort heureusement pour le
capitaine, le voyage se déroula sans encombre si ce n’est un incendie à bord
sans conséquence fâcheuse. Il put ainsi dégager un profit personnel de presque £14.000
(± 950.000 de 2015). Il était devenu un homme fortuné.
Son bateau devant repartir le 29 juillet 1817, il
s’empressa deux jours après son arrivée d’aller demander la main de Mary-Ann à
son père. John Robinson donna immédiatement son consentement. La loi exigeant
que les bans soient publiés au minimum dix jours avant la cérémonie, James Ives
Edward épousa Mary-Ann Robinson le 17 juillet 1817.
La maison de Miss Robinson, 2023
Quelques
jours plus tard, le 26 juillet, le couple fut reçu par Napoléon qui fit
remarquer la ressemblance du marié avec le prince Eugène. Il lui déclara :
- « Vous avez
fait le bonheur de votre femme, cela vaut mieux que d'avoir épousé une femme
riche ».
Il crut bon d’ajouter, après que le jeune couple eut
quitté Longwood House :
- « À Londres,
elle va être fort courue, ils voudront tous l'avoir dans leurs raouts ; il
suffira que l'on sache que je l'ai considérée ».
Mais, contrairement à Betsy Balcombe, Mary-Ann ne chercha
jamais à tirer avantage d’avoir été durant quelque temps la « Nymphe de la vallée ».
Le 29 juillet, devenue Madame Edwards, la Nymphe quitta l’île. Elle vécut sa vie de femme de capitaine au long cours sans se
bercer d’illusions, et sans chercher à se créer une légende en rédigeant ses
mémoires.